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Constant II Héraclius

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Constant II Héraclius
Empereur byzantin
Image illustrative de l’article Constant II Héraclius
Solidus à l'effigie de Constant II.
Règne
-
(27 ans)
Période Héraclides
Précédé par Héraclonas
Constantin III Héraclius
Suivi de Constantin IV
Biographie
Nom de naissance Flavius Constantius Augustus
Naissance
Décès (à 37 ans)
Père Constantin III
Mère Gregoria Anastasia
Épouse Fausta
Descendance Constantin IV
Heraclius
Tibère
L'Empire byzantin en 650.

Constant II Héraclius (en latin : Flavius Heraclius Constantius Augustus, en grec : Κώνστας Βʹ), né le et mort le à Syracuse, en Sicile, fils de Constantin III et de Gregoria Anastasia, est un empereur byzantin de 641 à 668.

Début du règne : la régence

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Constant II, né sous le nom d'Hérakleios Konstantinos, est le fils aîné de l'empereur Constantin III et de son épouse Grégoria, petite-fille de l'empereur Héraclius [1],[2]. Sa naissance en 630 intervient dans un contexte dynastique fragile, marqué par la vieillesse d'Héraclius et les tensions entre les différentes branches de la famille impériale. À la mort d'Héraclius en février 641, l'Empire est confié conjointement à Constantin III et à son demi-frère Héraclonas, fils d'Héraclius et de sa nièce et seconde épouse, Martina. Cependant, cette co-régence tourne rapidement à l'affrontement. Constantin III meurt dès avril 641, probablement de la tuberculose, bien que des accusations d'empoisonnement orchestré par Martina circulent largement[3].

La mort prématurée de Constantin III fragilise la position de son jeune fils Constant, alors âgé d'environ onze ans. Dans un climat de méfiance et d'hostilité envers Martina et Héraclonas, les factions constantiniennes, soutenues par le Sénat et la population de Constantinople, forcent Héraclonas à reconnaître Constant comme co-empereur. Rapidement, Héraclonas est destitué, Martina mutilée (coupure de la langue) et exilée, tandis que Constant est reconnu comme unique empereur sous le nom de Constant II [4].

Son avènement, bien que soutenu par une partie importante de l'élite constantinopolitaine, s'accompagne d'une régence officieuse, l'empereur étant encore mineur. C'est sous l'influence du Sénat et d'une aristocratie militaire renforcée que les premières mesures du nouveau règne sont prises. Du fait de sa barbe, il reçoit ensuite le surnom de « Pogonatos » (le barbu)[5]. Les sources médiévales confondent souvent les empereurs de cette dynastie, tous nommés Héraclius, Constantin ou Héraclius Constantin[6].

Constant II est couronné à la faveur d'une sédition contre Martine, veuve d'Héraclius, et son fils Héraclonas, suspectés tous deux d'avoir fait périr Constantin III pour se réserver le pouvoir. En septembre 641, Martine et Héraclonas sont renversés, mutilés et exilés par le général Valentin, officier d'origine arsacide promu par Constantin III. Le Sénat confirme la destitution des deux personnages, ce qui confirme son regain d'autorité puisque les sénateurs se chargent aussi de la tutelle de Constant II. Cette institution avait vu ses fonctions se réduire sous Justinien et entendait récupérer son pouvoir.

Au début du règne de Constant, la régence est officiellement confiée au patriarche Paul II de Constantinople (641-653) et au sénat, mais le pouvoir est exercé par le général Valentin, qui dès 642 marie sa fille Fausta au jeune empereur. En 642, il prit le titre de consul. En 646, le chroniqueur Sébéos mentionne le mariage de Smbat V Bagratouni avec une princesse arsacide, fille du magistros Manuel, préfet d'Égypte en 634 et décédé en 651, et parente de l'empereur Constant II. L'étude des parentés de l'empereur montrent que c'est sa femme Fausta qui est arsacide, ainsi que son père le général Valentin, qui est associé au trône de 641 à 644. Valentin et Manuel pourraient très bien être frères (ou, selon Christian Settipani, oncle et neveu) et petit-fils du général Artabanès.

La menace islamique

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Au moment où Constant II accède au pouvoir en 641, l'Empire byzantin est déjà ébranlé par une série de défaites militaires majeures. La bataille du Yarmouk en 636 a anéanti la capacité de l'Empire à défendre durablement ses provinces du Proche-Orient. La conquête musulmane, entamée sous le califat d'Abu Bakr et amplifiée par son successeur Omar, se révèle irréversible. Dès le début de son règne, Constant II doit donc faire face à un processus d'effondrement territorial qui met en péril les fondements mêmes de l'État byzantin, sans disposer des moyens de lancer une véritable contre-offensive [7].

Perte de l'Egypte

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L’un des théâtres décisifs est l’Égypte. Après avoir sécurisé la Palestine et la Syrie, les forces musulmanes, sous la conduite d'Amr ibn al-As, franchissent le Sinaï à l’hiver 639. La résistance byzantine, désorganisée, peine à ralentir l’avancée arabe. Le siège de Babylone d’Égypte, entamé en juillet 640, s’éternise dans des conditions extrêmes ; l'armée impériale, mal approvisionnée et affaiblie, capitule après six mois de résistance[8]. La chute de Babylone ouvre la route vers Alexandrie, qui tombe à son tour en novembre 641. Une tentative de reconquête byzantine par voie navale permet brièvement de reprendre Alexandrie en 645, mais les Byzantins sont définitivement expulsés en 646 après une nouvelle offensive arabe, soutenue par une flotte plus expérimentée, lors de la bataille de Nikiou[9]. La perte de l’Égypte a des conséquences catastrophiques : en privant Constantinople de ses ressources céréalières traditionnelles, elle entame la capacité de l'État à soutenir financièrement et logistiquement son armée.

Difficultés en Afrique

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Dans la continuité de ces pertes, la situation en Afrique du Nord empire rapidement. Après la prise de la Cyrénaïque vers 642, les troupes arabes poursuivent leur progression vers la Tripolitaine, exploitant le vide militaire laissé par les Byzantins [10].

La situation politique en Afrique byzantine devient critique dès le début du règne de Constant II. Isolé de Constantinople par la distance et par les désordres politiques du centre impérial, Grégoire le Patrice, exarque d’Afrique, développe une attitude de plus en plus autonome. Vers 644 ou 645, il aurait pris le titre de roi (rex en latin, basileus en grec) ou d'empereur d'Afrique, sans pour autant rompre totalement avec la légitimité impériale [11].

Les motivations de Grégoire semblent multiples. D'une part, il s'oppose à la politique religieuse de Constantinople, notamment à l'édit du Typos imposant le silence sur la question du monothélisme [12]. D'autre part, il tente de renforcer localement la capacité de résistance contre les avancées musulmanes, face à un Empire central incapable de lui envoyer des renforts significatifs [13].

En 647, apprenant l'approche d'une armée arabe commandée par Abdallah ibn Saad, Grégoire rassemble une force estimée à plusieurs dizaines de milliers d'hommes. L'affrontement a lieu près de Sufetula, dans l'actuelle Tunisie. Malgré son avantage numérique initial, l'armée byzantine est mal coordonnée et s'effondre rapidement face aux forces musulmanes plus mobiles[14]. Grégoire est tué au combat, précipitant la désorganisation complète de la résistance africaine.

La mort de Grégoire marque une rupture historique : la Byzance africaine, privée de sa capacité de défense intérieure, se replie sur quelques citadelles côtières comme Carthage. L’Empire perd ainsi presque toute autorité effective sur l’intérieur du Maghreb [15]. Constantinople, absorbée par ses propres luttes contre les Arabes en Orient et en Asie Mineure, n'aura ni la capacité ni les moyens de restaurer une domination pleine sur l'Afrique du Nord.

Sur le front oriental et en Asie Mineure, la situation n’est guère meilleure. Dès 641, les premières incursions arabes frappent la Cilicie, puis remontent vers la Cappadoce et la Galatie[16]. La faiblesse de la couverture défensive oblige Constant II à recourir à des stratégies de contournement : plutôt que de défendre systématiquement les frontières, l'Empire se replie sur ses fortifications urbaines majeures, laissant de larges territoires ouverts aux razzias. En 654, un raid naval arabe atteint même les abords de Constantinople, ce qui souligne l'inquiétante montée en puissance maritime du califat [17]. À partir des années 660, les troupes arabes commencent à hiverner en territoire byzantin, notamment en Cappadoce, confirmant l’enracinement durable de la menace [18].

Constant II tente d’adapter l’appareil militaire byzantin à cette nouvelle réalité. Constatant l’inefficacité d’une armée expéditionnaire centralisée, coûteuse et vulnérable, il engage la création progressive des thèmes. Ces nouvelles unités administratives et militaires, telles que l’Anatolikon, l’Opsikion, les Arméniaques et le Thrakesion, associent une armée territoriale directement enracinée dans son district à une autorité politique locale (le stratège), capable de lever, financer et mobiliser les troupes[19]. Cette réforme, amorcée sous Constant II, bien que parfois attribuée de manière formelle à ses successeurs, constitue une réponse pragmatique aux nécessités stratégiques du moment.

Parallèlement, Constant II renforce les structures navales et transfère en 662 une partie de sa cour à Syracuse, en Sicile, dans l'espoir de préserver l'Italie byzantine et les possessions africaines restantes contre les raids arabes [20]. Ce déplacement souligne une réorientation stratégique majeure : désormais, la Méditerranée centrale devient un nouveau pivot impérial, tandis que l'Orient est en passe d’être abandonné.

Toutefois, les efforts de Constant II se heurtent à des limites structurelles redoutables. La perte de l'Égypte et du Levant prive l'Empire de plus de la moitié de ses revenus fiscaux, compliquant le financement des réformes militaires [21]. L'effondrement démographique, aggravé par les famines, les épidémies et les déplacements de population, épuise les capacités de recrutement. L'Empire doit de surcroît faire face à une flotte arabe désormais capable de rivaliser avec la marine byzantine, autrefois dominante.

Ainsi, malgré une résistance acharnée et des adaptations institutionnelles majeures, Constant II se trouve dans une position défensive constante. Son règne incarne la transition douloureuse entre l'Empire tardif des expéditions offensives et un nouvel Empire byzantin, recentré, territorialisé et profondément transformé par l'épreuve des conquêtes musulmanes.

L'édit de Constant

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Statue du pape Martin Ier, Église Santa Maria della Consolazione de Todi.

L'ecthèse de l'empereur Héraclius et du patriarche Serge Ier de Constantinople faisait du monothélisme la doctrine officielle depuis 638, en dépit de nombreuses oppositions dont celle de la papauté. En 647, le pape Théodore Ier excommunie le patriarche de Constantinople Paul II. En réaction, Constant II promulgue en 648 le Typos, ou « règle » : l'ecthèse est retirée de la basilique Sainte-Sophie, mais le monothélisme n'est pas formellement renié, et toute discussion à ce sujet est interdite aux évêques et aux théologiens sous peine de fouet et de bannissement[22].

Mais l'année suivante, en 649, le nouveau pape Martin Ier, élu sans l'aval du gouvernement impérial, réunit un concile au Latran en présence du moine Maxime le Confesseur et lance l'anathème contre à la fois le monothélisme et le Typos[23]. Néanmoins, Constant II ne reconnaît pas l'autorité du pape Martin Ier et l'exarque de Ravenne Olympios a ordre d'arrêter le pape mais face à la colère populaire, il décide de se servir de celle-ci pour se détacher de l'autorité impériale. Toutefois, sa révolte ne survit pas à sa mort en 652. À l'image de la situation en Afrique, les querelles religieuses favorisent les tendances séparatistes de certains gouverneurs, ce qui contribue à fragiliser l'autorité impériale[24].

En juin 653, Constant II parvient à faire arrêter le pape Martin Ier et le moine Maxime le Confesseur par un nouvel exarque, Théodore Calliopas. Traité sans aucun ménagement, le pape est amené à Constantinople où il est accusé de complot contre l'empereur (accusation politique et non religieuse) et condamné à mort par le sénat [25]. Après plusieurs semaines de captivité et un appel à la clémence du patriarche en sa faveur, sa peine est commuée en bannissement ; il est déporté en Crimée où il meurt un an et demi plus tard[26]. Le moine Maxime, torturé et mutilé, meurt en 662, exilé dans le royaume de Lazique, à l'âge de 82 ans[27].

En 654, il avait associé son fils, le futur empereur Constantin IV au trône comme co-empereur.

Par ailleurs, Constant II accepte l'élection de papes non favorables au monothélisme (Eugène Ier en 654, Vitalien en 657), du moment qu'ils ne militent pas ouvertement contre cette doctrine.

L'empereur tente aussi d'imposer à l'Église apostolique arménienne qu'elle se soumette au patriarcat de Constantinople et accepte le Symbole de Chalcédoine. Mais après la promulgation d'un édit en ce sens en 648 ou 649, le clergé arménien et de nombreux princes du pays, y compris le gouverneur byzantin d'Arménie Théodoros Rechtouni, se réunissent en un concile à Dvin et condamnent solennellement l'édit. Il en résulte que l'Arménie rejette la suzeraineté byzantine et accepte celle du calife. L'empereur mène une campagne militaire en 651-652 pour rétablir son autorité sur l'Arménie, mais la dénonciation d'un complot qui se trame contre lui à Constantinople l'oblige à rentrer précipitamment[28]. Le général Maurianus, qu'il laisse sur place, est vaincu par une armée arabe, et l'Arménie est perdue pour l'Empire. En 655, la ville de Trébizonde est prise et mise à sac par une armée composée d'Arméniens et d'Arabes.

La tentation de l'Occident

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Les thèmes d'Asie mineure vers 650.

À la fin de la trêve de trois ans, Muʿawiya reprend ses raids maritimes contre l'Empire byzantin. Ainsi, il saccage Rhodes en 654 puis la Crète et Kos. Le calife souhaite à terme s'attaquer à Constantinople. Constant II tente de réagir mais il est lourdement défait à la bataille de Phoenix de Lycie en 655 et échappe de peu à la capture. Cette défaite sonne le glas de l'hégémonie maritime de Byzance dans la Méditerranée orientale. Toutefois, la guerre civile qui secoue les Arabes à la même époque permet à Constant II de signer une paix avantageuse avec Muʿawiya en 659, ce dernier s'engageant même à payer un tribut à l'empire (1 000 nomismata, un cheval et un esclave par jour) pour éviter que les Byzantins ne tirent trop avantage du désordre grandissant dans le califat[29].

Cette paix permet à Constant II de combattre les Slaves dans les Balkans. En 658, il remporte une victoire importante contre les Sklavinies. L'Empire byzantin retrouve alors le contrôle d'une grande partie de la Macédoine. Dans le même temps, Constant entreprend une politique de colonisation en transplantant des Slaves en Asie Mineure tandis que d'autres s'engagent dans l'armée byzantine[30].

Constant II profite de ces années de répit pour faire avancer la réorganisation de l'armée et de l'administration de l'Empire : de cette époque semble dater la transformation des corps d'armée appelés « thèmes » en véritables circonscriptions territoriales, qui vont jouer un rôle très important dans l'Empire byzantin pendant plusieurs siècles.

En 659, il avait associé ses fils cadets Héraclius et Tibère au trône comme co-empereurs.

La campagne contre les Lombards

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Dans un contexte d'accalmie relative sur le front oriental grâce à une trêve temporaire conclue avec les Arabes vers 659, Constant II saisit l’opportunité pour réorienter sa stratégie vers l’Occident. Dès 663, il lance une ambitieuse expédition en Italie, mobilisant une armée estimée à environ 30 000 hommes, principalement recrutée dans le puissant thème de l’Opsikion, récemment structuré [31]. L’objectif de l'empereur est double : restaurer l'autorité impériale sur la péninsule italienne, fragilisée par l'essor lombard, et réaffirmer la prééminence politique de Constantinople sur Rome et ses environs. Il laisse l'impératrice Fausta et leurs trois fils dans la capitale.

Constant II se rend d'abord par mer à Thessalonique, puis par terre à Athènes et à Corinthe, puis débarque en Apulie et entame une campagne méthodique contre les Lombards. Il parvient à reprendre certaines places comme Lucera et exerce une pression importante autour de Bénévent. Cependant, son effort est rapidement contrarié par la résistance efficace du roi lombard Grimoald Ier et de son fils Romuald. La bataille de Forino, en 663, marque un tournant : les forces byzantines subissent une lourde défaite, et l’armée commandée par le général Saburrus est presque totalement anéantie [32]. Cet échec scelle l'impossibilité pour l’Empire de restaurer son autorité sur le sud de l'Italie continentale au-delà de quelques enclaves.

Des relations difficiles avec la papauté

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L’expédition de Constant II n’a pas seulement une dimension militaire : elle s'accompagne aussi d'une tentative de contrôle accru sur Rome et sur la papauté. En 663, l’empereur entre solennellement dans la Ville Éternelle. Il est accueilli en grandes pompes par le pape Vitalien. C'est la seule apparition à Rome d'un empereur d'Orient depuis le IVe siècle et jusqu'à la fin du XIVe siècle[33]. Toutefois, son séjour romain est marqué par des actes de spoliation qui heurtent profondément la population locale et le clergé : Constant ordonne le démantèlement et l'envoi à Constantinople de nombreux éléments architecturaux précieux prélevés dans les églises romaines, notamment dans l’église de Saint-Pierre, probablement pour payer l'armée[34].

Cet acte alimente une défiance déjà ancienne. Depuis la promulgation du Typos en 648, la papauté, notamment sous Martin Ier, avait manifesté une opposition doctrinale ouverte à Constantinople. L'arrestation de Martin Ier, son procès humiliant et son exil en Crimée avaient profondément détérioré les relations entre Rome et l'Empire. Le Liber Pontificalis, principal témoin de l'époque, décrit une papauté de plus en plus affirmée dans son rôle spirituel indépendant, en opposition implicite à un pouvoir impérial perçu comme hérétique et oppresseur[35].

L'échec militaire et politique de la campagne italienne de Constant II n’empêche pas l’empereur de tenter d'influencer durablement l’Église romaine par des moyens plus subtils. Selon une hypothèse développée par P.A.B. Llewellyn, il est probable que Constant II ait encouragé l’intégration massive de clercs d’origine orientale dans le clergé romain après son séjour en Italie[36].

Cette stratégie s'inscrit dans la continuité des tensions religieuses provoquées par le Typos de 648. Après l'humiliation subie par la papauté lors de l'arrestation du pape Martin Ier, Constant II semble chercher à modifier les équilibres internes de l'Église romaine, non plus par la seule force, mais par une transformation sociologique progressive. L'arrivée de nombreux ecclésiastiques d'origine anatolienne ou syrienne est attestée par la multiplication des noms grecs dans les documents du Liber Pontificalis et les épitaphes des catacombes romaines de la fin du VIIᵉ siècle [37]. Il est difficile de connaître les résultats précis de cette stratégie mais elle pourrait expliquer une tolérance plus affirmée du clergé romain envers les pratiques orientales lors des décennies à venir.

Après la déconvenue militaire et diplomatique de sa campagne italienne, Constant II opère un choix stratégique sans précédent : en 662, il décide de fixer sa résidence impériale à Syracuse, en Sicile. Ce transfert est motivé par plusieurs facteurs. D'abord, Syracuse offre une position géographique centrale permettant de surveiller à la fois l'Italie du Sud, l'Afrique du Nord et la Méditerranée centrale, face aux menaces musulmanes croissantes. Ensuite, la Sicile est l’une des provinces les plus prospères économiquement, relativement épargnée par les ravages des invasions, et capable d'assurer un soutien logistique à la cour impériale [20].

Enfin, ce déplacement s’inscrit dans une stratégie de recentrage méditerranéen de l’Empire, caractéristique de la seconde moitié du VIIᵉ siècle : en abandonnant progressivement ses prétentions sur l'Orient, désormais largement perdu, Constant II tente de construire une nouvelle base de pouvoir à l'Ouest. Pendant cette période, il parvient, grâce à Éleuthérios, à faire chasser Gennadius d'Afrique et à reprendre le contrôle d'une partie de cette province, mais Muʿawiya, grâce à Gennadius qui s'est rallié à lui, gagne du terrain dans le sud[38].

Après son installation à Syracuse en 662, Constant II mène une existence semi-itinérante en Sicile et en Italie du Sud, tentant de consolider la position byzantine en Méditerranée occidentale. Cependant, son séjour prolongé à Syracuse contribue à accroître son isolement politique. Les lourdes ponctions fiscales imposées pour financer ses campagnes militaires et l'administration de son nouveau centre de pouvoir suscitent un mécontentement grandissant tant parmi les populations locales que dans l'entourage militaire [20].

Le 15 septembre 668, Constant II est assassiné dans son palais de Syracuse. Selon la tradition rapportée par plusieurs sources byzantines, notamment Théophane le Confesseur, il aurait été tué par un de ses serviteurs, un certain André, qui aurait profité que Constant prenne un bain pour lui fracasser le vase servant à verser de l'eau sur la tête[39]. D’autres témoignages laissent entendre l’existence d’une conspiration plus large fomentée parmi les élites syracusaines et militaires [40]. Dans un article reposant sur l'interprétation du texte de Théophile d'Édesse, David Woods penche plutôt pour une reconstruction à partir d'une mort accidentelle. Constant II serait simplement tombé dans son bain et la propagande impériale aurait préféré transformer cela en attentat[41]. D'autres récits, comme celui d'Anastase le Sinaïte, font référence à une mort par un objet tranchant, sans plus de précisions[42].

Quoi qu'il en soit, après sa mort et sans forcément de lien direct avec celle-ci[42], un officier nommé Mezezios est proclamé empereur par une partie de l'armée locale, illustrant la fragilité de l’autorité dynastique dans les provinces occidentales [43]. Toutefois, la réaction de Constantinople est rapide : Constantin IV, fils aîné de Constant II déjà couronné co-empereur depuis 654, est reconnu comme empereur légitime. Il dépêche des forces loyalistes qui parviennent à réprimer la rébellion de Mezezios dès 669 [44].

Constant II est enterré dans l'église des Saints-Apôtres à Constantinople, où sa femme qui lui avait survécu fut aussi enterrée, Il laissa trois fils, tous trois couronnés, dont l'aîné devint l'empereur Constantin IV. Il avait eu aussi un frère, Théodose, général en 654 et consul honoraire en 656, qu'il avait fait exécuter pour conspiration en 659 ou 660, avant son départ définitif de Constantinople (661). Le chroniqueur Théophane dit qu'il mourut détesté, à cause de ce fratricide qui avait choqué, et de la répression cruelle de ses opposants religieux[45]. La fille de Théodose aurait épousé Démétrios Ier d'Abkhazie.

Notes et références

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  1. Haldon 1990, p. 144.
  2. Whittow 1996, p. 49-50.
  3. Shepard 2008, p. 355-356.
  4. Haldon 1990, p. 147.
  5. Ostrogorsky 1996, p. 144. On pensait autrefois que ce surnom s'appliquait à son fils Constantin IV, mais il semble plutôt qu'il désigne Constant II.
  6. Il semble d'après des historiens récents que ce surnom s'applique, non pas à lui, mais à son père Constant II.John Julius Norwich, Byzantium : The Early Centuries, Penguin, , 407 p. (ISBN 0-14-011447-5), p. 316
  7. Kennedy 2007, p. 101-105.
  8. Butler 1978, p. 210-215.
  9. Kaegi 1992, p. 104.
  10. Pringle 2001, p. 79.
  11. Butler 1978, p. 192-194.
  12. Haldon 1990, p. 178-179.
  13. Pringle 2001, p. 81-82.
  14. Butler 1978, p. 193.
  15. Pringle 2001, p. 84.
  16. (en) E.W. Brooks, « The Arabs in Asia Minor (641-750), from Arabic Sources », The Journal of Hellenic Studies, vol. 18,‎ , p. 184-185
  17. Kaegi 1992, p. 115.
  18. Brooks 1898, p. 185.
  19. Haldon 1990, p. 202.
  20. a b et c Prigent 2010, p. 155-157.
  21. Haldon 2016, p. 104-106.
  22. Bréhier 2006, p. 62
  23. McKitterick 2016, p. 243.
  24. Ostrogorsky 1996, p. 150
  25. Llewellyn 1976, p. 122.
  26. Butler 1978, p. 244.
  27. Ostrogorsky 1996, p. 151
  28. Ce complot implique des membres du sénat et des officiers d'origine arménienne en poste en Thrace. À l'époque, beaucoup d'officiers de l'armée sont d'origine arménienne.
  29. Ostrogorsky 1996, p. 146-147
  30. Ostrogorsky 1996, p. 147-148
  31. Donvito 2014, p. 28-29.
  32. Donvito 2014, p. 30-31.
  33. Bréhier 2006, p. 63
  34. Donvito 2014, p. 32.
  35. (en) Rosamond McKitterick, « The papacy and Byzantium in the seventh- and early eighth-century sections of the Liber pontificalis », Papers of the British School at Rome, vol. 84,‎ , p. 243-245
  36. (en) Peter Llewellyn, « Constans II and the Roman Church: a possible instance of imperial pressure », Byzantion, vol. 46,‎ , p. 120-121
  37. Llewellyn 1976, p. 122-124.
  38. Ostrogorsky 1996, p. 153
  39. « Il entra dans la salle de bain avec un serviteur nommé André, fils de Troïlos. Quand il eut commencé à se savonner, André saisit la cruche, en frappa l'empereur sur le sommet de la tête, et s'enfuit tout de suite. Comme l'empereur s'attardait dans la salle de bain, ceux qui étaient à l'extérieur s'y précipitèrent et le trouvèrent mort. Après l'avoir enterré, on força l'Arménien Mezezios à prendre le titre d'empereur, parce qu'il était de belle prestance et dans la fleur de l'âge. Apprenant la mort de son père, Constantin se rendit en Sicile avec une grande flotte; il captura Mezezios et le fit exécuter avec les assassins de son père. » (Chronique de Théophane)
  40. Stratos 1983, p. 200.
  41. (en) David Woods, « Theophilus of Edessa on the death of Constans II », Byzantine and Modern Greek Studies, vol. 44-2,‎ , p. 212-219
  42. a et b Woord 2020, p. 218-219.
  43. Kaegi 1981, p. 66-68.
  44. Shepard 2008, p. 359.
  45. Ostrogorsky 1996, p. 152

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Bibliographie

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Liens internes

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Liens externes

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