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PUBLICITÉ ET ART

Les rapports de la publicité avec l' art, tel qu'il est défini par les historiens et les critiques, sont l'objet d'un malentendu. Par l' affiche, qui marqua ses véritables débuts, la publicité est certes d'origine artistique mais, à mesure qu'elle se développait en se diversifiant, elle s'est vu reléguée dans un ghetto qui pourrait bien correspondre à l'« inconscient » de l'art. Par sa seule existence, la publicité heurte de front la hiérarchie mise en place à partir de la notion d'un art « pur ». Pourtant, nombre de ses manifestations sont aussi convaincantes que des œuvres qui sont censées être nées d'un besoin de création désintéressé. C'est surtout à travers l'affiche, interlocutrice directe de la peinture, et à travers l'écran publicitaire qui appartient à l'univers cinématographique que peuvent être traités les rapports de la publicité avec l'art. La rigueur intellectuelle voudrait que le « résidu » qui survit à l'acte publicitaire – affiche ou film – soit jugé à l'égal d'une œuvre conçue dans des conditions « traditionnelles » sur sa seule textualité, pour reprendre la terminologie propre aux linguistes. Or il n'en est rien. Le jugement qui frappe la création publicitaire est fuyant car il s'appuie, selon les besoins d'une démonstration nourrie d'a priori, sur des arguments tantôt esthétiques, tantôt sociologiques, tantôt économiques, voire moraux, sans que le passage des uns aux autres fasse l'objet d'une signalisation particulière.

Les rapports entre publicité et art, faute d'être énoncés de façon cohérente, sont prétexte à de brèves évocations qui tendent soit à minimiser l'œuvre publicitaire – en la situant parmi les arts « mineurs » –, soit à la rejeter en l'accusant d'être porteuse d'une faute originelle, celle d'avoir été conçue sous le signe du mercantilisme. La publicité introduit dans l'ordre établi de l'art une irrésolution qui n'est pas près d'être surmontée mais qui peut s'avérer féconde pour l'esprit critique.

Une forme d'expression liée à l'écriture

Au contraire de l'art, la publicité est une expression postérieure à l'invention de l'écriture. Si l'on se réfère aux travaux d'André Leroi-Gourhan qui reposent en partie sur les recherches d'Annette Laming-Emperaire, on voit que l'art pariétal – celui de Lascaux, des Eyzies ou d'Altamira –, malgré son apparent réalisme, est plus qu'un art d'imitation. Les groupements d'animaux en fonction des lieux montrent bien que nous sommes en présence d'un système de signes. On peut dire que cet art, dans lequel l'historien se plaît à reconnaître l'origine même de l'art pictural, concourt à la formation d'une écriture. « Même dans les œuvres les moins figuratives et les plus dénuées de contenu religieux, l'artiste est créateur d'un message ; il exerce à travers les formes une fonction symbolisante qui perce ailleurs dans la musique ou le langage » (André Leroi-Gourhan).

La publicité, elle, est au départ une écriture, puis une écriture illustrée, enfin un message visuel destiné à rendre accessible, de la manière la plus immédiate, la plus concise, un slogan, un produit, une marque... Le but idéal, rarement atteint, étant de transformer l'écriture en un message exclusivement plastique, grâce auquel toutes les données seraient perçues simultanément.

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Dans les premières affiches imagées, l' information écrite et son illustration sont juxtaposées, puis le graphiste s'efforce d'absorber l'écrit dans la composition de l'image. Dès que s'impose l'idée qu'un produit ou une idée politique pourrait être mieux servi en s'appuyant sur l'image, le responsable d'une campagne publicitaire ou politique fait appel à des artistes. D'abord parce que ceux-ci paraissent les plus capables d'inventer des images, ensuite parce qu'ils sont les plus aptes à utiliser les techniques de la gravure sur bois, de la lithographie... Cette dernière, en particulier, après avoir servi à « démocratiser » les chefs-d'œuvre, devint un mode de création original. Le développement de la presse satirique a précipité le développement d'une forme d'expression nouvelle. Des artistes comme Daumier, Gavarni, Cham... ont même trouvé un style adapté à la lithographie. C'est donc à des créateurs connus pour leur habileté que seront demandées les premières œuvres publicitaires illustrées. Celles-ci sont souvent des affichettes destinées à être accrochées dans les boutiques – celles des libraires en particulier. C'est ainsi que Raffet, Manet, Grandville, Toni Johannot, Gavarni, Bertall seront sollicités. Il va sans dire que la gravure sur bois, telle qu'elle était encore diffusée par les colporteurs dans les milieux populaires, entretenait le sens de la lecture de l'image – lecture qui compensait en partie l'illettrisme. Ainsi la publicité puisait-elle ses moyens d'expression dans un art populaire fait à la fois de tradition (l'image d'Épinal) et de création (Daumier). Au départ, l'image est « bordée » par le texte. Puis, progressivement, ce dernier sera considéré comme partie intégrante de la composition générale. L'antique sera le premier caractère créé spécialement pour la publicité afin que, dans la presse, les annonces se détachent clairement des textes composés en garamond, didot ou bodoni (lettres comportant des pleins et des déliés). Mais, rapidement, pour chaque affiche, la graphie sera adaptée à l'image, puis des créateurs concevront de nouveaux alphabets destinés exclusivement à la publicité. L'affiche du Bal Valentino, créée par Chéret en 1872, témoigne de l'alliance de l'écriture et de l'image dans une composition enfin unifiée. Chéret fera figure de créateur d'un nouvel art populaire. Au cours de son apprentissage de lithographe en Angleterre, il avait vu les grandes affiches du cirque américain Barnum, alors en tournée, et compris tout le parti qu'il pouvait en tirer pour créer un nouveau type de fresque. Durant toute sa vie, il n'a cessé de s'inspirer des envolées lyriques de Giambattista Tiepolo dont les reproductions ornaient les murs de son atelier. Son intention était bien de faire de l'art. Tout comme celle de ses commanditaires qui voyaient dans cette expression de la publicité le moyen d'associer efficacité et respectabilité.

Chéret élabore l'espace publicitaire : il le fait sortir de l'imagerie pour le situer dans le sillage de la peinture occidentale ; il puise son sens du mouvement dans le maniérisme. Il se sert de la femme comme support esthétique, idéaliste et érotique. Son art trouvera-t-il pour autant grâce aux yeux de la critique ? On peut en douter à la lecture d'un texte que Huysmans, esprit pourtant « très ouvert », consacre au Salon de 1879 : « Pour moi, j'aimerais mieux toutes les chambres de l'exposition tapissées des chromos de Chéret ou de ces merveilleuses feuilles du Japon qui valent un franc la pièce, plutôt que de les voir tachetées ainsi par un amas de choses tristes. De l'art qui palpite et qui vive, pour Dieu ! et au panier toutes les bondieuseries du temps passé ! Au panier toutes les léchotteries à la Cabanel et à la Gérôme ! » (L'Art moderne, 1re éd., 1883, Stock). Certes, les « chromos » de Chéret sont préférés à ce que Huysmans considère comme de la mauvaise peinture, mais cela ne leur confère pas pour autant la dignité d'œuvre d'art.

Sarah Bernhardt, affiche de Mucha - crédits : MPI/ Getty Images

Sarah Bernhardt, affiche de Mucha

Toulouse-Lautrec, Bonnard, Vuillard, Steinlein partagent leurs activités entre création graphique de caractère publicitaire et création picturale « pure ». Seules les affiches du premier seront vraiment reconnues comme les égales de ses autres œuvres. Il est vrai qu'elles s'inscrivent dans une vision qui constitue une exception dans l'histoire de la peinture. Avec l'œuvre de Lautrec, située à la frontière de la peinture et de la caricature, historiens et critiques ont accepté de voir l'art s'encanailler. À la fin du xixe siècle, l'affiche bénéficie de l'engouement pour l'art appliqué que les artistes de l' Art nouveau, sous l'influence de théoriciens comme William Morris ou John Ruskin, s'efforcent de faire triompher dans la vie quotidienne. On voit alors dans cet art pour tous le moyen de faire pénétrer la beauté dans toutes les couches de la société. Cette vision unitaire des manifestations esthétiques est à la base de l'activité d'un Grasset, d'un Mucha, d'un Berthon ; cette volonté de faire fléchir les formes, des plus visibles aux plus cachées, sans solution de continuité, comme se déroule la lanière d'un fouet, va servir l'affiche qui fait figure de véhicule d'une idéologie, de manifeste vivant. Celle-ci suscitera alors un engouement qui prend le nom d'affichomanie. Comme les œuvres d'art, elle fait l'objet de reproductions en formats réduits.

Ainsi a-t-on pu croire en cette fin de siècle à une nouvelle aube artistique où les formes seraient entraînées dans une véritable ascension spirituelle. Occultistes et spirites exerçaient alors en effet une influence considérable sur les artistes. Idées sociales généreuses et renouveau spiritualiste s'unirent donc pour une courte période.

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L'affiche viennoise, dans le sillage de la sécession, allait se vouer, après les tourbillons de l'Art nouveau, à une géométrisation rituelle de l'image et de la lettre, tout en poursuivant un but unificateur. La période qui précéda la Seconde Guerre mondiale se caractérise par une surdétermination des formes. Une tendance à associer étroitement artisanat et art anime, comme au Moyen Âge, un grand nombre d'artistes. Il a fallu attendre les années 1960 pour que fût reconnu le rôle de l'Art nouveau. En effet, l'importance quasi exclusive accordée à l'impressionnisme et aux mouvements qui, du fauvisme au futurisme en passant par le cubisme, donnaient à l'art moderne (grâce à Cézanne, Van Gogh et Gauguin) une apparence de continuité, cette importance avait conduit nombre de critiques et d'historiens d'art à considérer l'Art nouveau comme un phénomène aberrant – l'expression « style nouille » est à cet égard significative – ou décadent.

L'affiche, des années 1880 à la veille de la Première Guerre mondiale, se rattache à tout un ensemble de courants regroupés par une partie des historiens d'art sous le nom de symbolisme. La figure de la femme, tout à la fois pôle d'attraction et de répulsion, est le point de rencontre des tendances composites qui agitent alors la scène artistique. Les manifestations et les productions auxquelles elle prête son visage et son corps en ces temps où la rareté des produits de consommation l'emporte encore sur l'abondance sont considérées comme des moyens de faire bénéficier le plus grand nombre des bienfaits de la civilisation. Ce n'est donc pas encore déchoir que de faire de la publicité.

Avec la guerre de 1914-1918 vient la période de la propagande. Le publicitaire, le caricaturiste croient, là encore, faire œuvre d'édification. Steinlein, Raemeckers, Abel Faivre pensaient, en effet, accomplir un travail d'information en mettant leur talent au service d'un ordre qu'ils combattaient. Peut-être cette guerre, par les exagérations et les mensonges qu'elle a suscités, marque-t-elle de façon décisive la séparation entre l'image et la vérité qu'elle était censée représenter. Les moyens se séparent définitivement des fins et acquièrent une logique propre qui va peu à peu se constituer en règles de persuasion, indépendamment des causes à défendre.

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Le futurisme fut le seul mouvement qui, dans sa volonté de prendre en compte les manifestations les plus agressives du monde contemporain, s'intéressa à la publicité. Fortunato Depero (1892-1960) rédigea même en 1932 un manifeste de l'art publicitaire futuriste, après avoir réalisé affiches et figurines, en particulier pour Campari.

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Sarah Bernhardt, affiche de Mucha - crédits : MPI/ Getty Images

Sarah Bernhardt, affiche de Mucha

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  • AFFICHE

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